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La place des femmes au Cambodge

  • Photo du rédacteur: Agathe
    Agathe
  • 23 sept. 2020
  • 8 min de lecture

Dernière mise à jour : 3 nov. 2020

Pour peu que vous me connaissiez, vous vous doutiez sûrement que ce sujet finirait par être évoqué sur mon blog. En tant que féministe assumée, je suis naturellement sensible aux rapports entre les sexes en France mais aussi ici, au Cambodge, où la société est structurée bien différemment. Je vais donc essayer de partager le fruit de mes réflexions dans cet article que j'espère dépourvu de préjugés et de jugement.


Au Cambodge, l'égalité des droits entre les sexes est reconnue dans la Constitution du 21 septembre 1993. "Les citoyens khmers sont égaux devant la loi ; ils ont les mêmes droits, les mêmes libertés et les mêmes devoirs sans distinction de race, de couleur, de sexe, de langue, de croyances, d'opinions politiques, d'origine de naissance, de classe sociale, de fortune ou d'autres situations." (Chapitre III, article 31). Le nombre de femmes y est un peu plus élevé que le nombre d'hommes et leur espérance de vie est plus longue de 5 ans. La situation semble plutôt positive à tous niveaux mais comme souvent, elle est plus complexe qu'il n'y parait et si les signes de bonne volonté des pouvoirs publics sont bien présents, on constate rapidement les failles d'une société encore très patriarcale.



Une société en cours de modernisation


Vous l'aurez probablement compris à la lecture de mes précédents articles, le Cambodge est un pays en plein développement qu'hommes et femmes soutiennent ou subissent selon leur situation socio-économique (les impacts du covid sont encore trop récents pour être étudiés, je me baserai donc sur la situation pré-pandémie).


Si on en croit les statistiques de la Banque Mondiale publiées en 2019, les femmes ont une part très active dans la vie économique du pays : elles sont 79% à travailler contre 86% des hommes (pourcentage de la population âgée de plus de 15 ans). Au niveau des secteurs d'activités, la répartition est assez équitable excepté lorsqu'on se penche sur le travail salarié dans lequel la proportion de femmes est en deçà de celle des hommes de 15,7 points. De plus elles sont souvent moins qualifiées et moins rémunérées que leurs homologues masculins (30% de moins en moyenne) explique Dr Pung Chiv Kek, fondatrice de la Licadho une ONG cambodgienne en faveur des droits humains.

En revanche, elles sont beaucoup plus nombreuses que les hommes à posséder de très

Une tisserande © Agathe Ducellier

petites entreprises: laverie, commerce de proximité, couture, coiffure.... Dans les villes de province, elles représenteraient 65% des propriétaires d'entreprises selon un rapport de Gender and Development for Cambodia publié en 2019. Ce sont à la fois des emplois à la maison qui leur permettent de prendre soin de leur famille mais aussi plus précaires car souvent non déclarés. Toujours selon ce rapport, 95% des micro entreprises tenus par des femmes sont informelles. En effet au Cambodge, il n'est pas rare de voir une affaire se monter sans déclaration préalable auprès des autorités. Pour ce qui est des zones rurales, les femmes sont aussi surreprésentées dans les emplois d'ouvriers dans des secteurs pénibles et peu rémunérateurs.

Il y a également un mouvement d'exode rural des jeunes femmes sans instruction ni éducation qui se rendent dans les villes dans l'espoir de trouver de meilleures conditions de travail. Elles deviennent alors employées de maison, ouvrières sur les chantiers ou dans le domaine textile... Les moins chanceuses tombent parfois dans la prostitution volontaire ou forcée avec toutes les problématiques sécuritaire et sanitaire que cela implique dans un pays où cette activité est interdite depuis 2008, les prostituées stigmatisées et le VIH toujours présent.


Remontons à présent le fil pour nous intéresser à la question de l'éducation. Depuis 2007, le Cambodge garantit un accès obligatoire et gratuit à l'éducation pour tous du primaire à 14 ans. Cela semble porter ses fruits puisque 94% des jeunes seraient scolarisés selon les chiffres officiels. Ils sont nuancés par un grand nombre d'organisations internationales qui n'hésitent pas à pointer du doigt les difficultés d'accès à la scolarité et notamment la scolarité supérieure à cause de l'éloignement des établissements scolaires ou du coût des fournitures. La qualité de l'enseignement est elle aussi mise en cause puisque certains établissements sont en très mauvais état et les professeurs parfois peu ou mal formés. Mais revenons aux inégalités de genre car c'est ensuite que l'écart se creuse. Dans un rapport de 2018, Asia Foundation explique que le pourcentage de filles au début des études secondaires serait de 80% mais que seul 50% d'entre elles obtiendrait leur bac doub, le baccalauréat. En 2017, le Ministère de l'Education, de la Jeunesse et des Sports cambodgien a constaté que seul 22% des étudiants en master et 5% des étudiants en doctorat étaient des étudiantes. On comprend donc que si certaines femmes ne peuvent pas avoir accès à des postes à responsabilité c'est aussi par manque d'éducation et de formation.


Petite fille se rendant à l'école avec son frère sur le lac Tonlé Sap © Agathe Ducellier

Les plans du gouvernement qui encouragent l'accès à l'éducation auprès des femmes, se heurtent parfois à une société très traditionnelle notamment dans les milieux ruraux. Les familles sont parfois réticentes à envoyer leurs filles étudier loin de leur village (pour les études supérieures par exemple) ou de leur faire faire un long trajet quotidien à vélo ou à pied. D'autres fois, si elles n'ont pas les moyens d'envoyer tous leurs enfants à l'école, elles auront tendance à privilégier les garçons.



Le poids des valeurs traditionnelles



L'apsara, l'incarnation de la srei krup leak, la femme parfaite © Agathe Ducellier

Sans surprise, ce sont les valeurs traditionnelles qui contribuent à la perpétuation de ces inégalités. Jusqu'en 2007, les écoles cambodgiennes proposaient à l'étude le chbab srey, un code de conduite dédié aux femmes expliquant que leur rôle est de maintenir la paix à la maison, de marcher et parler doucement ou encore de respecter leur mari. Voici un extrait : "Vous devez servir et respecter votre mari tout le temps et en priorité. Vous ne pouvez pas toucher la tête de votre époux (partie la plus sacrée du corps pour les bouddhistes) sans vous incliner d'abord en signe de respect. Vous devez prouver votre patience et ne jamais vous révolter face à la colère de votre mari. L'école est plus utile pour les hommes que pour les femmes. La place des femmes est à la maison pour s'occuper de son mari et de ses enfants". (source: Khmer Institute).

L'équivalent masculin, le chbab pro, existe également mais plutôt de se concentrer sur le rôle de père ou de mari, il enseigne davantage des qualités de leadership ou de courage. Bien que le Ministère des Affaires Féminines ait demandé son retrait, une version allégée est encore étudiée pendant l'équivalent du collège. Il s'agit de textes traditionnels qui n'ont certes pas valeur de loi mais continuent néanmoins à influencer les mentalités d'autant plus que l'enseignement de l'esprit critique est encore peu développé dans l'éducation cambodgienne.

Un autre proverbe khmer est assez révélateur de cette distinction opérée entre homme et femme puisqu'il affirme « Les femmes, comme des vêtements blancs, sont facilement salies, alors que les hommes, comme des pierres, peuvent être polis. » Cette différence s'observe très concrètement dans la société, surtout dans les zones rurales où certains comportements sont très mal vus : une femme ne doit pas boire de bière ou très exceptionnellement, elle ne doit pas conduire un homme à moto ou lui donner d'ordres, elle ne doit pas fumer, arborer de tatouages.... Elle doit se marier jeune (avant 25 ans de préférence) sous peine de "finir au musée".


Finalement, ces rapports de domination sont particulièrement visibles au sein de la cellule familiale et du couple. Traditionnellement, la femme cambodgienne appelle son mari "bong" ce qui signifie "grand-frère" alors que son mari l'appellera "aone" : "petite soeur" et ce même si elle est plus âgée que lui. Certains considèrent que la culture khmère est matriarcale car les jeunes mariés habitent traditionnellement chez les parents de la femme mais cela me semble un argument un peu léger puisque, de manière générale, les enfants doivent s'occuper de leurs parents âgés quel que soit le côté de la famille.



La situation évolue néanmoins, les jeunes khmers notamment éduqués en ville sont très fortement inspirés de la culture coréenne et occidentale ce qui crée une vision très fantasmée mais aussi plus moderne du couple. Les mariages arrangés sont de plus en plus rares et on observe même des exemples de couples en concubinage ce qui autrefois était considéré comme scandaleux (et l'est encore beaucoup dans certains villages). Il faut cependant comprendre que le problème du concubinage au Cambodge n'est pas tant lié à la religion comme ce fut le cas dans les sociétés occidentales mais plutôt à l'argent qui, au Cambodge, est un véritable marqueur social et relationnel. Les mariages khmers étant très onéreux, les hommes subissent une pression sociale et peuvent être considérés comme incapables de prendre soin de leur famille s'ils ne peuvent pas se marier.


Encore une fois, la fracture se situe plutôt au niveau économique. Les femmes issues de classes sociales défavorisées et/ou qui n'ont pas pu avoir accès à l'enseignement ont plus de risques de souffrir de violences ou d'abus. Dans son rapport de 2017, Asia Foundation cible la consommation abusive d'alcool comme l'une des causes de ces violences. Dans la sphère conjugale notamment, elles sont encore très courantes : 21% des femmes entre 15 et 64 ans ayant déjà été en couple rapportent avoir subi des violences physiques ou sexuelles de la part de leur conjoint (selon un rapport des Nations Unies publié en 2015) et l'abandon du foyer par les hommes n'est pas un phénomène isolé. Bien que ces comportements tombent sous le coup de la loi, les croyances sociales freinent leur application, en effet, la moitié des répondants de l'étude des Nations Unies considère que les violences conjugales se justifient dans certaines circonstances. De plus, si le droit de divorcer existe aujourd'hui au Cambodge, il est encore mal perçu et les épouses qui y ont recours prennent le risque de se retrouver au ban de la société. Au-delà de la sphère privée, les violences des hommes envers les femmes restent problématiques puisque 14% des femmes âgées entre 15 et 64 ans rapportent avoir subi des violences de la part d'un homme autre que leur partenaire et 20% d'entre elles racontent que leur première expérience sexuelle n'était pas consentie.



La nécessité d'un investissement politique



Le Cambodge dispose d'un Ministère dédié aux Droits des Femmes et à l'égalité des genres créé en 1993 ainsi que d'un cadre législatif assez complet mais ce dernier peine à être appliqué. La faible représentation des femmes au sein des instances publiques et politiques pourtant appelée de ses vœux par le Premier Ministre Hun Sen lors de la dernière journée internationale des droits des femmes (jour férié au Cambodge !) est également un frein à une véritable prise de conscience.

Il faut dire que le gouvernement semble faire preuve d'une certaine schizophrénie à ce sujet comme l'illustre un projet de loi récemment annoncé qui viserait, entre autres, à réglementer la tenue des cambodgiens (hommes et femmes mais surtout femmes) afin de préserver la culture et l'ordre public. Des voix se sont élevées sur les réseaux sociaux et via certaines associations. Elles ont notamment rappelé que plusieurs jeunes femmes bénéficiant d'une grande notoriété avaient été interpellées puis forcées de s'excuser pour leurs tenues jugées trop sexy et donc contraire à la culture cambodgienne.


En parallèle, de nombreuses organisations œuvrent en faveur de l'émancipation des femmes en difficulté à travers l'éducation, la formation ou encore le recrutement dans des entreprises solidaires pour un salaire stable et juste. D'autres encore luttent pour une meilleure représentation politique à l'image de la Licadho, qui avant chaque élection fait le tour des principaux partis politiques demandant d'incorporer davantage de femmes à des postes éligibles, souvent sans succès (100 Questions sur le Cambodge, Frédéric Amat et Jérôme Morinière).




Il y a enfin l'émergence d'un courant féministe au Cambodge à la fois nourri par l'augmentation du niveau d'éducation des femmes mais aussi par les réseaux sociaux sur lesquels les jeunes passent de plus en plus de temps. On peut notamment citer l'exemple de Catherine Harry, la jeune cambodgienne n'hésite pas à parler de couple ou de sexualité sur sa chaîne Youtube "A Dose of Cath", un sujet encore extrêmement tabou dans le pays. Elle fut entre autres l'une des invitées de la première édition du seul festival féministe du Cambodge "Phnom Fem Fest" lancé en 2019.


Malgré les critiques dont elle peut faire l'objet, la situation du Cambodge connait une nette amélioration si on compare les études récentes avec d'autres plus anciennes. Cette tendance, certes lente et fragile, fait néanmoins l'objet de l'attention d'organisations internationales ce qui semble assez encourageant pour l'avenir des femmes cambodgiennes.


En complément, je vous invite à écouter ce podcast sur le sujet du rôle de la femme dans la société cambodgienne



Pour rappel, il ne s'agit pas dans cet article d'établir une hiérarchie par rapport à la France (où la situation est bien loin d'être un exemple !), seulement d'analyser une situation à partir de chiffres et d'exemples concrets. Je ne suis pas non plus sociologue, ce témoignage se base donc sur ce que j'ai pu apprendre en un an. si vous souhaitez compléter ou contester, sentez-vous libre de laisser des commentaires.

 
 
 

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