Se marier au Cambodge
- Agathe
- 25 janv. 2021
- 7 min de lecture
Dernière mise à jour : 27 janv. 2021
Attention, aucune annonce personnelle à venir, cet article fait suite à une expérience que j'ai vécue il y a quelques jours : celui du mariage de ma collègue auquel j'étais demoiselle d'honneur. Cette position pour le moins surprenante pour une occidentale m'a donné la chance de pouvoir observer la cérémonie de l'intérieur. Je n'évoquerais pas ici les formalités administratives de l'union civile mais bien les détails du jour J avec famille, collègues et amis. Bienvenue dans un mariage khmer traditionnel.
Disclaimer : avant toute chose, cet article raconte mon expérience de deux mariages. Je ne prétends tout savoir des mariages khmères, dans tous les types de famille.
I. Avant le mariage
Les mariages khmers demandent tout autant, voire plus de préparatifs que les mariages français et pourtant ceux auxquels j'ai pu assister ce sont organisés en plus ou moins six mois. Si la date est annoncée bien en avance, l'invitation elle, n'est remise que deux ou trois semaines avant le jour J. Elle est nominative, vous verrez bientôt pourquoi, et comprend le programme, le plan d'accès et l'enveloppe dans laquelle vous pourrez mettre votre contribution.

En effet, au Cambodge, on ne fait pas de cadeau de mariage. En venant, chaque invité donne une somme qui permettra à terme de rembourser le mariage, lequel peut coûter aux environs de 10 000 dollars, une somme astronomique pour certains et qui les poussent parfois à s'endetter. Pourquoi ne pas faire plus petit voire ne pas se marier du tout me direz-vous ? Au Cambodge, le mariage est une obligation sociale. Le concubinage est très peu répandu et les parents, grand-parents sont très attachés au respect des rites et traditions. Le mariage est donc un "passage obligé", les rites demandant de grands investissements comme vous le verrez ensuite. C'est aussi pour cela que les familles invitent beaucoup de monde (300 personnes étant considéré comme un "petit" mariage), c'est un événement social et cela permet de rembourser les frais.
Pour en revenir à l'histoire de l'enveloppe, elle est nominative également. Impossible donc de se défiler et de la déposer vide, vous devez donner une somme précise en adéquation avec plusieurs facteurs : la relation que vous avez avec les mariés, votre niveau de vie, le temps depuis lequel vous vous connaissez etc. Gare aux erreurs car une mauvaise estimation peut entacher à jamais la relation !
Une fois l'invitation reçue, une confirmation orale suffit amplement. Il vous faut ensuite vous mettre à la recherche de votre tenue la plus seyante, pour les femmes du moins car les hommes sont souvent beaucoup moins apprêtés.
II. Le Jour J
Nous sommes arrivées la veille du jour des célébrations, tout était en cours de finalisation : la tente était montée à l'extérieur de la maison, les tables partiellement installées. Nous avons contribué à envelopper les offrandes de cell'o'frais sur leurs petits plateaux dorés en compagnie des femmes de la famille des mariés. L'une très âgée s'amusant à nous réciter la fable de la grenouille qui voulait se faire aussi grosse que le bœuf, témoignage de cette époque aujourd'hui révolue à laquelle on enseignait le français à l'école. Alors que nous allions nous coucher, nous vîmes dans la chambre des grandes photos des mariés en tenue traditionnelle ou plus casual dans les forêts du Mondolkiri, nous savions déjà qu'elles seraient disposées le lendemain à l'entrée de la tente.

Un réveil de très très bon matin
Couchées 22h, levées 3h du matin ! Les yeux encore gonflés de sommeil, nous nous sommes dirigées vers les deux chaises que l'on nous désignait installées au milieu des dormeurs. Deux coiffeurs se sont affairés pour nous parer de magnifiques chignons puis ce fut l'étape du maquillage. Réunies dans la même pièce, toutes les femmes ont eu droit à une mise en beauté : fond de teint, sourcils épais, faux cils... Vers 4h30, les musiques traditionnelles ont commencé à retentir. La mariée disposait de son propre coiffeur/ maquilleur qui la transformait peu à peu en princesse khmère. Grande fut notre surprise de constater qu'elle portait, entre autres artifices, des lentilles colorées, un accessoire impensable dans un mariage traditionnel français. Dernière étape, vers 5h30 du matin, alors que les premières lueurs de l'aube apparaissaient : l'habillement. L'entreprise qui gérait le maquillage et la coiffure avait aussi amené des malles pleines de tenues traditionnelles que nous avons revêtues. Lucie et moi avons hérité du modèle pantalon porté par les hommes et les femmes. Ce pantalon bouffant est constitué d'un large pan de tissu enveloppant la taille dont les extrémités sont ensuite enroulées pour former un boudin dont une partie vient se fixer en accordéon sur l'avant du bassin et l'autre dans la ceinture à l'arrière après avoir été passée entre les jambes. Une opération assez complexe. Au même moment, la mariée enfilait, comme nous, la première de ses sept tenues. A 6h nous étions fin prêtes et attendues sur l'estrade où les offrandes avaient été descendues. Des invités étaient déjà là.
2. Les rituels
Tout a commencé par la procession de la famille du marié. Toute la famille, les bras chargées d'offrandes, s'achemine lentement vers la maison au son des musiques traditionnelles. Nous portions de gros vases de fleurs en métal. L'Achar, le maître de cérémonie, guidait toutes les étapes des rituels en parlant au micro. Lorsque cette étape fut terminée et que nos fardeaux furent déposés sur l'estrade, il eut la gentillesse de nous expliquer en anglais quelques éléments sur la cérémonie. Puis est venu le moment du petit déjeuner, depuis notre réveil, nous n'avions rien mangé ni bu. Nous avons donc partagé avec les premiers convives une grande soupe à la crevette avec des beignets chinois. Le ventre rempli, nous sommes allées changer de tenue, notre rôle était fini. Nous n'étions pas mécontentes de retirer nos vêtements certes très beaux mais très ajustés.
Les tables commençaient à se remplir de convives. Dans les mariages khmers, les invités vont et viennent toute la journée sans obligation d'assister à toutes les étapes de la célébration. Dans une salle dédiée et isolée de la foule, les anciens priaient ensemble toujours sous la houlette du maître de cérémonie. Nous apprîmes qu'ils demandaient la bénédiction des ancêtres pour les mariés. Ils ont été rejoints par deux moines vêtus de leur tenue couleur safran. Les mariés vêtus dans des tons blanc et bleu se sont agenouillés devant eux pour être bénis.

Cela terminé, les mariés sont retournés se changer et nous sommes descendus devant l'estrade. Une amie khmère m'a confié impatiente qu'allait avoir lieu la cérémonie de la coupe des cheveux. En effet, les mariés se sont installés sur des trônes dorés, chacun entourés par trois garçons et demoiselles d'honneur. Il y eut d'abord de petites scénettes amusantes réalisées par le chanteur et la chanteuse du mariage. L'Achar, puis des couples ont ensuite été invité à faire mine de couper les cheveux des nouveaux époux, ce rituel symbolisant la purification physique et morale des mariés. Tout d'abord les parents puis les frères et sœurs et enfin des couples de moins en moins proches. A l'issue de cette cérémonie, les mariés et leur famille ont pris des photos avant de retourner se changer. L'estrade fut immédiatement démontée ainsi que le décor déplacé à l'extérieur afin de pouvoir se prendre en photo devant.

La salle où avaient été entreposées les offrandes la veille fut de nouveau mise à contribution. Les anciens s'y assirent ainsi que l'animateur. Le marié entra le premier et s'inclina devant ses parents puis les parents de son épouse. Cette dernière arriva alors, magnifique en princesse khmère. Malgré les lourds bijoux et son vêtement serré, elle présenta à son tour ses respects aux parents puis le couple s'agenouilla côte à côte pour le rite des popils. Sept couples qui n'ont jamais connu le divorce les ont entourés puis se sont emparés de bougies distribuées par l'Achar. Tour à tour, ils se firent passer les bougies tout en envoyant la fumée vers les mariés pour les protéger des mauvais esprits. A l'issue du rituel, l'Achar a une nouvelle fois soufflé la fumée vers les mariés pour éteindre les bougies. Inutile de vous dire qu'il y eu quelques toussotements.
Enfin, l'Achar remit aux mariés un sabre puis prononça un discours qui s'acheva par un lancer de fleurs d'aréquier sur les mariés. Il trempa ensuite des fils de coton jaune dans de l'eau bénite. Les membres de la famille proche s'approchèrent alors et remirent de l'argent au nouveaux époux tout en nouant un cordon à leur poignet et en prononçant des voeux de bonheur.
3. La fête
A midi, il était plus que temps de déjeuner ! Les invités affluaient en masse entre les demoiselles et garçons d'honneur qui leur remettait une petite écharpe en cadeau. Ils s'attablaient ensuite, devant un couvert protégé par du film plastique. Lorsque la table était complète (10 personnes), les serveurs commençaient à amener un à un les huit plats à partager. Soupe de crabe, poisson, salade de boeuf épicé... Le tout accompagné de canettes de bières ou de soda. Sur une scène montée dans la matinée, des chanteurs interprétaient des titres khmers modernes.
Les époux réapparurent enfin en tenue de mariage occidentale, lui en costume noir, elle en robe de mariée kaki. Ils firent le tour des tables ainsi qu'on le fait en France, s'inquiétant du bien-être des invités, chacun remettant à son tour les enveloppes d'argent préparées en amont.
Quelques convives commencèrent à se lever et à danser en cercle autour d'une table car il faut savoir que les danses traditionnelles khmères s'organisent toujours en rond autour d'un élément central : table, seau, chaise.... Je ne vous cache pas que de mon côté, le réveil de trois heure du matin commençait à se faire sentir, nous avons donc quitté le mariage vers 14h30, de la musique et des belles images plein la tête.
III. Après le mariage
Je n'ai bien sûr pas vécu cette étape mais c'est ce que ma collègue ma raconté. Suite au mariage, les époux doivent rester à la maison de l'épouse pendant trois jours puis se rendre à la pagode avec des offrandes. Les moines leur rappellent alors leurs devoirs respectifs.
Sous l'influence de l'occident, les khmers organisent aussi des lunes de miel. Malheureusement, comme partout ailleurs, le covid 19 limite quelque peu les possibilités de voyager à l'étranger.
J'espère que cet article sur une expérience aussi émouvante vous aura plu. Je tiens à remercier de tout mon cœur ma collègue et son époux de nous avoir convié à leur mariage mais aussi chacune des personnes qui nous a accueilli et expliqué les détails de ces traditions jusqu'alors inconnues. Je souhaite aux heureux mariés tous mes vœux de bonheur !
Merci aussi à Lucie, photographe non officielle mais néanmoins talentueuse de ce bel événement.
Merci pour ce partage, tellement intéressant de découvrir ces rites et coutumes ! Et tu étais sublime dans cette tenue traditionnelle !